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V.

Personne ne pense à la guerre ; mais des milliards sont en train d’être dépensés à ses préparatifs, et des millions d’hommes sont sous les armes en France et en Russie.

« Mais tout cela est fait pour assurer la paix. Si vis pacem para bellum. ["Si tu veux la paix, prépare la guerre"] L’empire c’est la paix. La République c’est la paix. »

Mais si tel était le cas, pourquoi est-ce que les avantages militaires d’une alliance franco-russe dans l’éventualité d’une guerre avec l’Allemagne sont-ils non seulement expliqués dans chaque journal et magazine publié pour des gens soi-disant instruits, mais aussi dans le Messager du Village, un journal publié pour le peuple par le gouvernement russe ? Pourquoi est-il inculqué à ce peuple infortuné, trompé par son gouvernement, que « d’être en rapports amicaux avec la France est avantageux pour la Russie, parce que, si de façon inattendue les états mentionnés ci-dessus (Allemagne, Autriche et Italie) se décidaient à déclarer la guerre à la Russie, alors, bien qu’avec l’aide de Dieu elle puisse leur résister par elle-même, et vaincre même une si grande alliance, l’exploit ne serait pas facile, et le succès occasionnerait de grands sacrifices et pertes. [Siel’sky Viestnik 1893, No.43]

Et pourquoi dans toutes les écoles françaises l’histoire est-elle enseignée avec le premier livre de lecture de M. Lavisse, dans lequel le passage suivant est inséré : -

« La France n’a plus connu d’autres désordres depuis que l’insurrection de la Commune a été réprimée. Le premier jour après la guerre, elle a encore repris le travail. Elle a payé sans difficulté à l’Allemagne les énormes indemnités de cinq milliards.

« Mais la France a perdu sa renommée militaire pendant la guerre de 1870. Elle a perdue une partie de son territoire. Plus de quinze milles habitants de nos départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle qui étaient de bons français ont été contraint à devenir allemands ; ils continuent d’espérer qu’ils pourront encore redevenir français une fois de plus.

« Mais l’Allemagne apprécie sa victoire, et c’est un grand pays dont tous les habitants aiment leur patrie, et dont les soldats sont braves et bien disciplinés. Afin de recouvrer de l’Allemagne ce qu’elle nous a pris, nous devons être de bons citoyens et soldats. C’est pour faire de vous de bons soldats que votre professeur vous enseigne l’histoire de la France.

« L’histoire de la France prouve que dans notre pays les enfants ont toujours vengé les malheurs de leurs pères.

« À l’époque de Charles VII, les français ont vengé la défaite de leurs pères à Crécy, Poitiers et Agincourt.

« C’est à vous, garçons instruits dans nos écoles, de venger la défaite de vos pères à Sedan et à Metz.

« C’est votre devoir – le grand devoir de votre vie. Vous devez toujours vous souvenir de cela. »

Au bas de la page se trouve une série de questions sur les paragraphes précédents. Les questions sont les suivantes : - « Qu’est-ce que le France a perdu en perdant une partie de son territoire ? »

« Combien de français sont devenus allemands par la perte de son territoire ? »

« Est-ce que ces français aiment l’Allemagne ? »

« Que devons-nous faire pour recouvrer un jour ce que l’Allemagne nous a pris ? »

En supplément à cela, il y a certaines « Réflexions sur le chapitre VII, » dans lesquelles il est dit que : « Les enfants de la France se doivent de ne pas oublier la défaite de 1870. » ; qu’ils doivent conserver dans leurs cœurs le poids de ce souvenir, » mais que « ce souvenir ne doit pas les décourager, au contraire, il doit provoquer leur courage. »

De sorte que si la paix est mentionnée avec une telle emphase dans les discours officiels, en coulisse, on fait voir au peuple, à la jeune génération, et en général à tous les français et les russes, la légalité, l’avantage et la nécessité de la guerre.

« Nous ne pensons pas à la guerre, nous ne travaillons que pour la paix. »

On se sentirait incité à s’informer : « Qui diable trompe-t-on ici ? [Fr.], si la question valait la peine d’être posée, s’il n’était pas déjà assez évident qui sont les malheureux induits en erreur.

Les induits en erreur sont toujours les mêmes trompés éternellement, les travailleurs inconsidérés, ceux qui avec des mains calleuses, fabriquent tous ces navires, forteresses, arsenaux, casernes, canons, bateaux [à vapeur], ports, jetées, palaces, palais de justice, et places avec des arches de triomphe, et qui impriment tous ces livres et journaux, et qui procurent et transportent tous ces faisans et ortolans et huîtres et boissons qui seront mangés et bues par ceux qui ont été élevés, éduqués et entretenus par la classe ouvrière, et qui en retour l’abusent et lui préparent les pires désastres.

Toujours les mêmes travailleurs, accommodants, inconsidérés, qui baillant, montrant leurs saines dents blanches, puérilement et naïvement content à la vue d’amiraux et de présidents en grandes parures, de drapeaux qui s’agitent au-dessus de leurs têtes, de feux d’artifices et de musique triomphale ; pour qui, avant qu’ils aient eu le temps de regarde alentour, il n’y aura plus d’amiraux, ou de présidents, ou de drapeaux ou de musique ; mais rien qu’un champ de bataille humide et vide, le froid, la faim et la souffrance ; devant eux un ennemi meurtrier ; derrière des officiers implacables empêchant leur fuite ; le sang, les blessures, les corps en putréfaction, et la mort insensée, inutile.

Pendant que d’autre part, ceux dont on a fait grand cas à Paris et à Toulon seront assis, après un bon dîner, avec des verres de vins fins à leurs côtés, et des cigares entre les dents, dans un coutil chaud, indiquant telles et telles places avec des épingles sur une carte, ou une certaine quantité de « chair à canon » doit se déployer – « chair » composée de ces même gens bêtes – pour enfin saisir cette place fortifiée ou un autre, et obtenir a petit ruban ou grade quelconque.