Page:Tolstoy - Christianity and Patriotism.djvu/53

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VII.


En conséquence, quand ont lieu des manifestations patriotiques telles que les festivités de Toulon, — quoiqu’elles contraignent les volontés des hommes seulement à distance, et les rendent aveugles à ces infamies coutumières qui sont toujours le résultat du patriotisme, — chacun qui prend conscience de la signification véritable de ces festivités ne peut que protester contre ce qu’elles contiennent tacitement. Et par conséquent, quand ces messieurs, les journalistes, affirment que tout russe sympathise avec ce qui est arrivé à Kronstadt, Toulon et Paris, et que cette alliance pour toujours est scellée par le désir de toute la nation ; et quand le ministre russe de l’éducation assure le ministre français que toutes ses brigades d’enfants, de clercs et de scientifiques partagent ses sentiments ; ou quand le commandant d’un escadron russe assure les français que toute la Russie leur sera reconnaissante pour leur réception ; ou quand des archiprêtres se portent garant de leur troupeau, et prétendent que les prières des français pour le bien-être de la maison impériale sont joyeusement répétées dans les cœurs de la nation russe amoureuse du Tsar ; et quand l’ambassadeur russe à Paris déclare, en tant que représentant du peuple russe, après un plat d’ortolans à la soubise, ou de lagopèdes glacés [Fr.], avec un verre de champagne Grand Moët à la main, que tous les cœurs russes, battant à l’unisson avec son cœur, sont remplis d’un amour soudain et exclusif pour la belle France [Fr.], — alors nous, hommes pas encore idiots, considérons comme un devoir sacré, non seulement pour nous-mêmes mais pour les dizaines de millions de russes, de protester très énergiquement contre une pareille déclaration, et d’affirmer que nos cœurs ne battent pas à l’unisson avec ceux de ces messieurs,- les journalistes, ministres de l’éducation, commandants d’escadrons, archiprêtres et ambassadeurs ; mais au contraire, nos cœurs sont remplis d’indignation et d’écoeurement à la fausseté pernicieuse et au mal qu’ils répandent, consciemment ou inconsciemment, par leurs paroles et leurs actions. Qu’ils boivent autant de Moët qu’ils le souhaitent ; qu’ils écrivent des articles et prononcent des discours d’eux-mêmes et pour eux-mêmes ; mais nous, qui nous considérons chrétiens, nous ne pouvons pas reconnaître que tout ce que ces messieurs écrivent et disent nous engage.

Nous ne pouvons admettre cela parce que nous savons ce qui se cache dessous ces ravissements ivres, discours et embrassements, qui ressemblent non à une confirmation de paix comme on nous assure, mais plutôt à ces orgies et réjouissances auxquelles les criminels s’adonnent quand ils planifient leurs crimes.