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Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/240

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— Enfin, seule !

— Ne le croyez pas. Presque aussitôt, il revient, tire de sa poche — côté cœur — une petite chose froissée et triste, un bouquet de violettes de deux sous qu’il avait oublié de me donner, m’embrasse sur le front et res’en va.

— Mais pourquoi de deux sous ?

— Ah ! voilà. C’est que j’avais été assez poireaute, au début, pour lui dire que je les aimais : vous savez, comme on dit dans les romans. Évidemment, je les aime, de loin, sur les éventaires : ça fait des jolies taches, demi-deuil. À part ça, j’aime mieux deux louis de lilas... Ah ! que je voudrais sentir les lilas, à la campagne. Ce printemps, qu’il faisait tiède, et que j’ai passé avec vous, en Victoria, par la rue du Petit-Musc : il y en avait en haut d’une muraille, vous rappelez-vous ?

— Comme je vous vois.

— Mais Dieudonné, depuis que j’ai dit ça, tout le temps il m’en apporte, des bouquets de deux sous. Si nous sortons ensemble et qu’il aperçoive un marchand, de loin il prépare ses deux sous. Et si le marchand n’a pas de violettes à deux sous, mon cher, il n’en prend pas. « Non, non, dit-il : quatre sous c’est trop cher. » Et il faut voir son air mutin !