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Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/80

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comme l’idole, sans souvenir et sans espérance.

Mon pathos n’a pas désarmé Nane ; elle darde sur moi des yeux remplis de défi, et les coins de sa bouche puérile sont tirés en bas. Drôle, qu’il y eût une âme là-dedans.


La mère de Nane est dans son petit jardin, qui arrose avec dévotion un carré de terre compacte et bombée, où il ne paraît avoir poussé jusqu’ici que quelques pierres.

Après deux gros baisers sur les joues de Nane, et une révérence pour moi :

— Voyez-vous, nous dit-elle, ce sont des salades.

— Ah ! oui, des salades.

— Dès qu’elles auront poussé, les loches viendront et mangeront tout. Il faudrait passer la nuit à côté, avec une lanterne.

— Tu ne feras pas ça.

— Je suis trop vieille, vois-tu. Ah ! si ton pauvre père vivait encore, lui qui les aimait tant.

Cet amour d’un mort pour les salades me suggère des plaisanteries auxquelles il vaut mieux ne pas donner jour. Je préfère parler de l’arbre malingre où je m’appuie, et qui est le géant du jardin.