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Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/122

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jeune bitiouk[1] l’emportait dans un ravin : « Allons, jeune poulain, tu veux donc te tuer ? » murmurait Ovsianikov avec bonhomie. Et maître et garçon, drojka et poulain, tout roula dans le précipice. Heureusement le fond était matelassé d’épaisses couches de sable et personne n’eut de mal, sauf le bitiouk qui en fut quitte pour une jambe démise.

― Tu vois, reprit tranquillement Ovsianikov en se relevant, je te l’avais bien dit.

Le caractère de sa femme s’harmonisait très bien avec celui d’Ovsianikov. Tatiana Illiinichna Ovsianikov était une femme de haute taille, grave et silencieuse, éternellement coiffée d’un mouchoir en soie brune. Son abord était froid, mais personne n’eut jamais à se plaindre de sa sévérité, et les pauvres l’appelaient mère et bienfaitrice. Ses traits réguliers, ses grands yeux, ses lèvres fines témoignaient encore de l’éclatante beauté de ses vingt ans. Ovsianikov n’avait point d’enfant.

J’avais fait la connaissance d’Ovsianikov chez M. Radilov. Deux jours après, je visitai ce vieillard chez lui. Il était assis dans un large fauteuil en maroquin et lisait la Vie des Saints.

  1. On appelle bitiouk une certaine race de chevaux qu’on a obtenue dans le gouvernement de Voronèje, près les célèbres haras de Krenov, ancienne propriété du comte Orlov. (Note de l’auteur.)