Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/223

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ne relevait ni n’abaissait la tête. Ennuyé de ce silence, je m’étendis sur le dos et me mis à observer le jeu paisible des feuilles enchevêtrées sur le ciel lointain et clair. C’est une très agréable position que de se tenir couché sur la mousse des bois, la face vers le ciel. Il vous semble que vous regardez dans une mer sans fond, qu’elle s’étend largement au-dessus de vous, que les arbres au lieu de s’élever de terre sont des racines d’immenses plantes et plongent verticalement dans les ombres claires et vertes. Les feuilles sur les arbres tantôt sont transparentes et tantôt opaques avec de très sombres teintes vert et or. Quelque part, loin au bout d’un mince rameau, on voit une feuille isolée, immobile sur un coin bleu du ciel diaphane et tout près d’elle une autre s’agite imitant le jeu du poisson qui rame — comme si ce mouvement était l’effet, non de l’air, mais d’une volonté. Semblable à de magiques îles sous-marines, des nuages ronds et blancs viennent doucement et doucement s’en vont, et voilà tout à coup que cette mer, cet air radieux, ces branches, ces feuilles — tout frissonne sous un fugitif rayon. Voilà que s’élève un chuchotement frais et tremblant, semblable au clapotement continu d’une vague montante. Vous ne