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Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/249

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mistre frapper sans bruit une autre baba… Tout à coup, on entendit le roulement d’une telega qui s’arrêtait devant le perron et le bourmistre entra.

L’homme d’État était petit, large d’épaules, grisonnant, bien bâti ; le nez rouge, de petits yeux bleus, et la barbe en éventail. Notons en passant que, depuis que la Russie existe, on n’y a pas encore vu qu’un seul homme soit devenu obèse et riche sans qu’il lui ait poussé en même temps une barbe en éventail. Tel a porté toute sa vie une barbe pointue et, sans transition, le voilà ceint d’une auréole. D’où vient tout ce poil ?

Le bourmistre s’était sans doute rafraîchi à Pérov. Il avait le visage enluminé et sentait le vin.

— Ah ! vous nos[1] pères, et bienfaiteurs ! dit-il avec un tel attendrissement que je m’attendais à le voir fondre en larmes. Vous avez enfin daigné venir !… La petite main, batiouchka, la petite main ! ajouta-t-il en allongeant d’avance ses lèvres.

Arkadi Pavlitch satisfit à son désir.

— Eh bien, frère Sofron, comment vont les affaires ? lui demanda-t-il d’une voix affable.

— Ah ! vous, nos pères ! et comment iraient-elles mal, quand vous, nos pères et bienfaiteurs,

  1. En Russie, pour honorer quelqu’un, on lui parle au pluriel.