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Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/73

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se rendit à Pétersbourg pour demander un emploi, et… il mourut dans une chambre d’hôtel, sans avoir eu le temps d’attendre une réponse définitive. Touman, qui l’avait servi au temps de ses splendeurs, avait reçu des lettres d’affranchissement du vivant du comte. C’était un homme de soixante-dix ans, ayant encore assez bonne mine. Il souriait presque continuellement, agréablement, comme on ne sourit plus, comme sourient seuls les gens du temps de Catherine, d’un sourire de bon aloi ; en causant, il ouvrait et refermait les lèvres d’une manière lente, les yeux mi-clos ; il prononçait un peu du nez ; il se mouchait et prenait son tabac sans nulle hâte, solennellement.

― Eh bien, Mikhaïlo Savelev, tu as pris du poisson ?

― Ayez la bonté de voir dans le panier : deux perches, cinq cabots… Montre, Stépan.

Stépouchka me tendit le panier.

― Comment te portes-tu, Stépan ? demandai-je à celui-ci.

― E e e eh ! mais… mais…, bi bi bien, batiouchka, répondit Stépouchka en bégayant ; chaque mot à prononcer semblait lui peser trente-deux livres.

― Et Mitrofane ? va-t-il bien ?