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Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/200

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contents ; l’herbe nouvelle frôlait doucement leurs pieds ; les jeunes feuilles bruissaient tout autour ; les taches d’ombre et de soleil se mirent à courir en glissant sur leurs vêtements ; et tous deux souriaient à ce jeu rapide et changeant de la lumière, aux gaies bouffées de vent, au frais miroitement du feuillage, et à leur propre jeunesse, — et l’un à l’autre.


XXIII


L’aurore commençait déjà à poindre dans le ciel, lorsque Solomine, ayant allègrement parcouru ses cinq verstes après le dîner chez Golouchkine, frappa à la petite porte de la haute palissade d’enceinte qui entourait la fabrique.

Le veilleur lui ouvrit aussitôt, et, accompagné de trois énormes chiens de garde qui agitaient largement leurs queues velues, le conduisit dans son logement avec un empressement respectueux. Le retour du chef lui faisait évidemment plaisir.

« Vous arrivez de nuit, M. Solomine. Nous ne vous attendions que demain.

— Bah ! la promenade est encore plus agréable pendant la nuit. »

Les rapports qui existaient entre Solomine et ses ouvriers étaient bons, quoique un peu différents de l’ordinaire : les ouvriers le respectaient comme un supérieur, et se conduisaient avec lui comme avec un égal, comme avec un des leurs ; mais à leurs yeux c’était un homme très-fort dans sa partie ! « Quand Vassili Fédotoff dit quelque chose, répétaient-ils entre eux, c’est sacré, parce que c’est un fier savant, et il vous enfoncerait tous les « Aglitchans » (Anglais). »

Les ouvriers se rappelaient, en effet, qu’un grand manufacturier anglais était venu un jour visiter la fabrique ;