Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/286

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la tête et se détourna.) Markelof me disait… Il savait que j’ai une lettre pour Néjdanof… il me disait : « Ne va pas à la fabrique, ne porte pas cette lettre ; ce serait un trouble-fête. Laisse-les ! Ils sont heureux tous deux là-bas… Tant mieux ! ne les dérange pas ! » Je voudrais bien ne pas vous déranger… mais comment faire avec cette lettre ?

— Il faut absolument la lui donner, s’écria Marianne. Mais quel bon cœur que ce Markelof ! Croyez-vous vraiment qu’il se fasse tuer ou qu’il aille en Sibérie ?

— Eh bien, qu’importe ? Est-ce qu’on n’en revient pas de la Sibérie ? Quant à perdre la vie… les uns ont la vie douce, les autres ont la vie amère. —Celle de Markelof n’est pas du sucre raffiné ! »

Machourina fixa de nouveau sur Marianne un regard intense et scrutateur.

« C’est bien vrai, vous êtes une beauté, s’écria-t-elle enfin, jolie comme un petit oiseau ! Mais Alexis ne vient pas… J’ai envie de vous donner la lettre. À quoi bon attendre ?

— Je la lui remettrai fidèlement, soyez-en sûre. »

Machourina appuya sa joue sur la paume de la main et resta longtemps sans dire une parole.

« Dites-moi… Pardon de la question… Vous l’aimez beaucoup ?

— Oui. »

Machourina secoua sa lourde tête.

« Et je n’ai pas besoin de vous demander s’il vous aime ! Allons, je pars ; sans quoi je pourrais me mettre en retard. Vous lui direz que je suis venue… que je lui souhaite le bonjour. Dites-lui : Machourina est venue. Vous vous rappellerez mon nom ? Oui ? Machourina. Et la lettre… Attendez, où donc l’ai-je fourrée ? »

Machourina se leva, se détourna comme pour fouiller dans ses poches et en même temps porta à sa bouche un petit papier roulé, qu’elle avala.

« Ah ! mon Dieu ! que c’est bête ! Est-ce que je l’aurais