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Page:Tourgueniev-Le Rêve.djvu/17

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ment, ou bien peut-être n’avait-elle qu’un vague souvenir de ce qu’elle avait raconté dans le délire de la fièvre, espérant, en tout cas, que je l’épargnerais. Je l’épargnais, en effet ; elle le sentait, et, comme la veille, ses regards fuyaient constamment les miens.

Je ne pus dormir de la nuit ; une tempête terrible s’était soudainement déchaînée. Le vent hurlait avec rage ; les vitres des fenêtres tremblaient et tintaient. Je ne sais quels désespérés gémissements traversaient l’air ; c’était comme un immense déchirement de tout le ciel, comme de furieux sanglots qui passaient en se précipitant par-dessus les maisons ébranlées. Au point du jour, un léger sommeil me surprit. Tout à coup il me sembla que quelqu’un entrait dans ma chambre et m’appelait par mon nom, d’une voix sourde mais impérieuse. Je levai la tête et ne vis personne. Chose étrange ! Loin d’être effrayé, je ressentis une sorte de joie ; il me vint une subite assurance que, ce jour-là, j’atteindrais mon but. Je m’habillai à la hâte et quittai la maison.

XII

La tempête s’était calmée, mais on sentait encore ses derniers frémissements. Il était très matin, on ne rencontrait personne dans les rues, toutes jonchées de tuiles, de carreaux, de planches, de branches d’arbres.

« Qu’a-t-il dû se passer en mer, » pensai-je à la vue des traces laissées par l’ouragan. Je voulais me diriger du côté du port ; mais mes pieds, comme obéissant à une attraction invincible, me portèrent du côté tout opposé. Dix minutes ne s’étaient pas écoulées, que je me trouvai dans une partie de la ville que je n’avais point visitée jusque-là. Je marchais lentement, pas à pas, mais sans m’arrêter, avec une étrange sensation dans le cœur. Je m’attendais à quelque chose d’extraordinaire, d’impossible, et en même temps j’étais convaincu que cette chose im-