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Page:Tourgueniev - Eaux printanières, trad. Delines, 1894.djvu/290

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première fois j’étais amoureuse du frère convers du couvent de Don. J’avais douze ans. Je ne le voyais que le dimanche. Il portait une soutanelle de velours, se parfumait d’eau de lavande, et se frayait un passage dans l’assemblée en tenant l’encensoir et il disait aux dames en français : « Pardon, excusez ! » Il ne levait jamais les yeux et il avait les cils longs comme cela.

Maria Nicolaevna montra son petit doigt à Sanine, et avec l’ongle du pouce indiqua la moitié de sa longueur.

— Quant à mon gouverneur, continua madame Polosov, il s’appelait monsieur Gaston !… Je dois vous dire qu’il était très savant et très sévère, il était Suisse… il avait une tête très énergique… des favoris noirs comme la poix… un profil grec… et des lèvres qui semblaient coulées en bronze !… Je le craignais ! C’est le seul homme que j’aie craint depuis que je suis au monde ! Il était le gouverneur de mon frère, qui est mort depuis… Il s’est noyé… Une bohémienne m’a prédit aussi une mort violente… mais ces prédictions sont des enfantillages… Je n’y crois pas… Pouvez-vous vous figurer mon mari armé d’un stylet ?…