Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/106

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— Il faut absolument que vous veniez nous voir, disait pendant ce temps-là Irène à Litvinof. Nous demeurons à l’hôtel de l’Europe. Je suis toujours chez moi de quatre à six. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus.

Litvinof regarda Irène en face, elle ne baissa pas les yeux.

— Oui, Irène Pavlovna, il y a longtemps. Depuis Moscou.

— Depuis Moscou… depuis Moscou, répéta-t-elle après une pause.

Venez, nous causerons, nous parlerons de l’ancien temps. Savez-vous, Grégoire Mikhailovitch, que vous n’avez pas beaucoup changé ?

— Réellement ? mais, vous, Irène Pavlovna, vous avez bien changé.

— J’ai vieilli.

— Irène ! fit d’un ton insinuant une dame à chapeau jaune sur des cheveux jaunes, après avoir chuchoté et ricané avec un monsieur assis à côté d’elle, Irène !

— J’ai vieilli, continua Irène, sans répondre à la dame, mais je n’ai pas changé. Non, non, je n’ai changé en rien.

— « Deux gendarmes, un beau dimanche, » fredonna encore l’irascible général qui ne se souvenait que du premier vers de cette chanson.

— Ça picote encore, Excellence, dit à haute voix le robuste général à favoris, faisant probablement allusion à quelque amusante histoire connue du