Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/119

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opérations financières, à l’État qu’au simple particulier. Et malgré cela c’était le meilleur des hommes, mais tel est le destin de la Russie — les meilleurs y sont assommants. Pichtchalkin se retira ; il fut remplacé par Bindasof, qui lui demanda effrontément cent florins, que Litvinof lui prêta, quoique, loin de s’intéresser à Bindasof, il sentît pour lui de la répugnance et qu’il fût bien certain de ne plus revoir cet argent, dont il avait lui-même besoin. Pourquoi donc le donna-t-il ? demandera le lecteur. Peut-être trouvera-t-il une réponse à cette question dans sa propre vie. Que de fois chacun de nous n’a-t-il pas agi de même ? Bindasof ne se donna même pas la peine de remercier Litvinof, se fit apporter un grand verre d’Affenthaler (petit vin rouge du pays) et sortit, sans s’essuyer les lèvres, en frappant le sol de ses grosses bottes. Quel dépit ne ressentit pas Litvinof en voyant la large nuque rouge de l’insolent qui s’éloignait ! Le soir, il reçut une lettre de Tatiana, qui l’informait que, par suite d’une indisposition de sa tante, elle ne pourrait pas arriver à Baden avant cinq ou six jours. Cette lettre lui causa une forte contrariété et augmenta son désappointement ; il se coucha de bonne heure dans une mauvaise disposition d’esprit. Le lendemain, dès l’aurore, sa chambre se remplit de compatriotes : Bambaéf, Vorochilof, Pichtchalkin, deux officiers, deux étudiants de Heidelberg envahirent à la fois son appartement et ne s’en allèrent que vers l’heure du dîner, quoiqu’ils eussent bien vite vidé leur sac