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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/126

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hâta-t-elle de dire, et, après l’avoir forcé de se débarrasser de son chapeau, elle le fit asseoir. Potoughine s’assit également, mais prétexta aussitôt une affaire pressante pour se retirer, en promettant de revenir après dîner. Irène lui jeta de nouveau un rapide regard, lui fit un signe de tête amical, mais ne le retint pas, et, dès qu’il eut dépassé la portière, elle se tourna vivement vers Litvinof.

— Grégoire Mikhailovitch, lui dit-elle en russe avec son timbre doux et argenté, nous voici enfin seuls ; je puis vous dire que je suis bien contente de notre rencontre, parce qu’elle… me donne la possibilité (et, disant cela, elle le regardait droit dans les yeux) de vous demander pardon.

Litvinof frissonna involontairement. Il ne s’attendait pas à une aussi brusque attaque ; il ne prévoyait pas qu’elle amènerait si résolûment la conversation sur le passé.

— Pourquoi, ce pardon ? dit-il en balbutiant.

Irène rougit.

— Pourquoi ? Vous le savez bien, reprit-elle en se détournant légèrement. J’ai été coupable à votre égard, Grégoire Mikhailovitch, quoique, sans doute… telle était ma destinée (Litvinof se souvint de sa lettre) ; je ne me repens pas… ce serait en tout cas trop tard ; mais vous ayant rencontré si à l’improviste, je me suis dit que nous devions absolument redevenir amis… absolument… et cela me ferait beaucoup de peine si cela n’avait pas lieu… et voici pourquoi il me semble que nous devons nous