Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/166

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n’était pas seulement belle : une joie secrète, presque railleuse, brillait dans ses yeux à demi fermés et courait autour de ses lèvres et de ses narines.

Ratmirof s’approcha de Litvinof et, après avoir échangé avec lui quelques paroles banales, qui n’étaient pas empreintes de son enjouement habituel, il le présenta à plusieurs dames : à la vieille ruine, à la reine des guêpes, à la comtesse Lise. Elles l’accueillirent avec assez de bienveillance. Litvinof n’appartenait pas à leur cercle, mais il n’était pas mal : ses traits expressifs et sa jeunesse attirèrent leur attention. Il ne sut pas profiter de cette bonne disposition ; il était déshabitué du monde, il ne se sentait pas à l’aise et de plus il était gêné par le regard persistant du gros général. « Ah ! pékin ! libre-penseur ! semblait lui dire ce lourd regard, te voilà donc faufilé chez nous ! Faut-il te donner la main à baiser ! » Irène vint au secours de Litvinof. Elle s’arrangea si adroitement qu’il se trouva casé dans un petit coin, auprès de la porte, un peu derrière elle. Chaque fois qu’elle lui adressait la parole, elle était obligée de se retourner, et chaque fois il était ébloui par les souples contours de son cou, enivré par le parfum de sa chevelure. L’expression d’une reconnaissance profonde et calme n’abandonnait pas le visage d’Irène ; il ne pouvait pas s’y méprendre ; oui, c’était de la reconnaissance et il se sentait frémir de bonheur et de joie. Irène semblait continuellement vouloir lui dire : « Eh bien ! comment les trouvez-vous ? » Litvinof croyait surtout