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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/214

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encore retourner en arrière, profiter de la liberté qu’on lui offrait. Mais non ! mille fois mieux la mort. La liberté ! À quoi bon cette liberté odieuse ? Mais se précipiter, s’anéantir dans la poussière, pourvu que ces yeux s’abaissassent sur lui avec amour…

— Grégoire Mikhailovitch ! dit une voix lugubre, et une main s’appuya lourdement sur l’épaule de Litvinof. Il se retourna non sans effroi, et reconnut Potoughine.

— Excusez-moi, Grégoire Mikhailovitch, commença celui-ci avec son habituelle grimace, je vous dérange peut-être, mais, vous voyant de loin, j’ai pensé… Du reste, si vous avez autre chose à faire…

— Au contraire, je suis ravi, dit entre ses dents Litvinof.

Potoughine se mit à marcher à côté de lui. — Quelle belle soirée ! poursuivit-il, comme il fait chaud ! Il y a longtemps que vous vous promenez ?

— Non, il n’y a pas longtemps.

— Mais, que dis-je, je vous ai vu sortir de l’hôtel de l’Europe.

— Vous me suiviez ?

— Oui.

— Vous avez quelque chose à me communiquer ?

— Oui, répéta Potoughine, mais si bas qu’on l’entendit à peine.

Litvinof s’arrêta et toisa des pieds à la tête l’interlocuteur qui s’imposait à lui. Son visage était blême, son regard vague ; une ancienne et incurable douleur semblait reparaître sur ses traits flétris.