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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/223

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un défi si prononcé que Litvinof crut de son devoir, faisant un effort sur lui-même, d’aller à sa rencontre, au devant d’une « histoire ». Mais, à l’approche de Litvinof, le visage du général se transforma subitement : sa courtoisie railleuse reparut et une main couverte d’un gant gris-perle souleva de nouveau un feutre irréprochable. Litvinof ôta le sien sans mot dire, et chacun suivit son chemin. « Il se doute de quelque chose », pensa Litvinof. « Si c’était du moins… un autre ! » se disait le général.

Tatiana faisait le piquet de sa tante quand Litvinof entra dans leur chambre.

— Tu es joli, mon petit père, s’écria Capitoline Markovna en jetant les cartes sur la table, te voilà perdu dès le premier jour et toute la soirée ! Nous avons attendu, attendu, puis grogné et grogné…

— Je n’ai rien dit, tante, fit observer Tatiana.

— Oh ! tu es connue pour ta patience ! N’avez-vous pas honte, monsieur. Est-ce possible ? pour un fiancé !

Litvinof s’excusa tant bien que mal, et s’approcha de la table.

— Pourquoi avez-vous interrompu votre jeu ? demanda-t-il après un court silence.

— Quelle question ! nous ne nous sommes mises à jouer que par ennui, ne sachant que faire… Maintenant que vous êtes arrivé…

— Si vous voulez entendre le concert du soir, interrompit Litvinof, je vous y conduirai très volontiers.