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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/237

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Irène le regarda du coin de l’œil.

— Ingrat ! tu n’es pas encore content ?

— Non, Irène, je ne suis pas content, et tu me comprends.

— C’est-à-dire, je…

— Oui, tu me comprends. Souviens-toi de ce que tu m’as dit, de ce que tu m’as écrit. Je ne puis pas partager avec un autre, je ne puis consentir à jouer un rôle pitoyable après tout ; ce n’est pas seulement ma vie, mais la vie d’une autre que j’ai jetée à tes pieds ; j’ai renoncé à tout, j’ai tout réduit en poussière, sans regret ni retour, mais en revanche je crois, je suis fermement convaincu que tu tiendras ta promesse, que tu uniras ton sort au mien.

— Tu veux que je m’enfuie avec toi ? je suis prête… (Litvinof s’inclina tout éperdu sur les mains d’Irène), je suis prête, je ne me dédis pas. Mais as-tu songé aux obstacles, as-tu avisé aux moyens ?

— Moi ? je n’ai encore songé à rien, je n’ai rien préparé, mais dis seulement un mot, permets-moi d’agir, et un mois ne sera pas écoulé…

— Un mois ! nous partons dans quinze jours pour l’Italie.

— Quinze jours me suffisent. Ô Irène ! tu as l’air d’accueillir froidement ma proposition, elle te semble peut-être un rêve, je ne suis cependant plus un enfant et n’ai pas l’habitude de me nourrir de chimères ; je sais combien ce pas est effrayant, je me rends compte de la responsabilité que je prends