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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/239

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pays lointain et libre. Là peut-être ton Irène sera plus digne de toi, plus digne des sacrifices que tu lui fais. Ne te fâche pas, pardonne-moi et sache que je ferai tout ce que tu ordonneras, que j’irai partout où tu me conduiras.

Irène ne lâchait pas Litvinof. Il sentait sur sa poitrine la pression désespérée de ce corps jeune et souple. Il se pencha sur sa chevelure ; au comble de la reconnaissance, il osait à peine caresser ses mains et les approcher de ses lèvres — Irène, Irène, répétait-il.

Elle releva tout à coup la tête et se mit à écouter…

— C’est le pas de mon mari, il est entré dans sa chambre, murmura-t-elle, et, se retirant avec vivacité, elle s’assit sur une chaise. Litvinof voulut se lever. — Où vas-tu ? continua-t-elle à demi-voix ; reste, il te soupçonne déjà. À moins que tu n’aies peur de lui… — Elle ne détachait pas les yeux de la porte. — Oui, c’est lui, il viendra tout de suite. Raconte-moi quelque chose, parle-moi. — Litvinof ne put promptement se remettre et se taisait. — N’irez-vous pas demain au théâtre ? reprit-elle à haute voix. On donne le Verre d’eau, une vieille pièce où la Plessis grimace horriblement. C’est de la fièvre, — ajouta-t-elle en baissant la voix, — cela ne saurait durer ainsi, mais il faut bien prendre ses mesures. Je dois t’avertir que tout mon argent est chez lui, mais j’ai mes bijoux. Nous irons en Espagne, veux-tu ? — Elle haussa de nouveau la