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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/264

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d’indomptable, comme une loi de la nature dans cette inclination, dans cette passion qui s’est conservée pendant tant d’années, pour éclater un jour avec tant de violence ? Vivre à Pétersbourg… Je ne serais pas le premier dans cette situation. Où aurais-je pu me réfugier avec elle ? » Il se mit à rêver ; Irène se représenta à son imagination telle qu’elle était restée dans ses derniers souvenirs, mais ce ne fut pas pour longtemps ; il revint à lui, repoussa avec un redoublement de colère et ces souvenirs et cette séduisante image. « Tu me présentes une coupe d’or, s’écria-t-il, mais il y a du poison dans ton breuvage, et tes blanches ailes sont souillées de boue… Laisse-moi ! Rester ici, avec toi, tandis que j’ai… renvoyé ma fiancée…, ce serait trop infâme ! » Il se tordit les mains, et un autre visage, avec l’empreinte de la souffrance sur des traits immobiles, avec un muet reproche dans un regard d’adieu, s’éleva de l’abîme…

Litvinof se tourmenta ainsi longtemps ; longtemps encore ses pensées brûlantes se jetaient de côté et d’autre, comme celles d’un malade dans son lit. Il se calma enfin ; il se décida. Dès le premier instant, il avait pressenti cette décision ; elle se présenta d’abord à lui comme un point éloigné, à peine perceptible à travers le tourbillon et les ténèbres de sa lutte intérieure ; puis, elle s’avança insensiblement, irrésistiblement, et finit par s’implanter froidement comme une lame d’acier dans son cœur.

Litvinof retira derechef sa malle du coin de sa