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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/268

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dont Litvinof le croyait peu capable, que vous n’avez pas repoussé la tête de mort, et peut-être vous sera-t-il donné en récompense de sauter la pierre fatale. Je ne veux plus vous retenir, permettez-moi seulement de vous embrasser.

— Je n’essayerai pas de sauter, répondit Litvinof, en donnant trois accolades à Potoughine, et aux tristes sensations qui remplissaient son âme vint un instant se joindre de la compassion pour ce pauvre être solitaire. Mais il faut partir, partir. Il rassembla ses paquets.

— Voulez-vous que je vous porte quelque chose ? dit Potoughine.

— Non, merci, ne vous dérangez pas, je porterai tout moi-même.

Il mit son chapeau, prit un sac en main. — Et ainsi, vous dites — demanda-t-il, étant déjà sur le seuil de la porte — que vous l’avez vue ?

— Oui, je l’ai vue.

— Eh bien…, que fait-elle ?

Potoughine ne répondit pas tout de suite.

— Elle vous attendait hier… elle vous attendra aujourd’hui.

— Ah !… dites-lui…, non, c’est inutile. Adieu… adieu.

Litvinof descendit rapidement l’escalier, se jeta dans une voiture et parvint au chemin de fer, sans donner un seul regard à la ville où il laissait une partie de sa propre vie… Il semblait s’abandonner à un flot puissant qui l’aurait saisi, entraîné, et il