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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/283

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sement, saisi d’un accès de sentiments élevés. Litvinof put cependant tirer de lui quelques nouvelles, entre autres de Vorochilof. L’homme à la table d’or avait repris du service et avait déjà lu aux officiers de son régiment une leçon sur le bouddhisme ou le dynamisme, quelque chose de ce genre… Pichtchalkin ne s’en souvenait plus au juste. À un autre relais, on tarda beaucoup à atteler les chevaux ; il ne commençait qu’à faire jour. Litvinof sommeillait dans sa calèche. Une voix qui ne lui sembla pas inconnue le réveilla ; il ouvrit les yeux… Mon Dieu ! n’est-ce pas M. Goubaref, en jaquette grise et en large pantalon du matin, qui se tient sur le perron de la maison de poste et vomit des injures ? Non, ce n’est pas M. Goubaref… mais quelle étonnante ressemblance ! Cet individu avait seulement une bouche plus grande, un râtelier mieux garni, un regard plus sauvage, un nez plus fort, une barbe plus touffue et, en général, la tournure plus lourde et plus épaisse.

— Grrredins ! grrredins ! vociférait-il avec une colère continue, en laissant voir une mâchoire de loup, païens que vous êtes ! Voilà cette liberté si vantée… on ne peut même pas avoir de chevaux… grrredins !

— Grrredins ! grrredins ! glapit derrière lui une seconde voix ; et apparut sur le perron un second individu en jaquette grise et en pantalon du matin ; cette fois, c’était réellement et sans aucun doute possible le vrai M. Goubaref, Étienne Nikolaévitch