Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

décoré, je ne dis pas richement, — l’expression serait trop faible, — mais solennellement, avec un apparat et un art exquis. Ne sentez-vous pas un certain frémissement ? Vous avez pénétré dans un temple consacré à la vertu la plus immaculée, à la morale la plus sublime, en un mot à ce qui n’est pas terrestre. Il y règne je ne sais quel silence réellement mystérieux. Des portières de velours aux portes, des rideaux de velours aux fenêtres, un tapis mou et épais sur le plancher, tout y est ménagé pour adoucir le moindre son et éviter les brusques sensations. Des lampes soigneusement voilées inspirent des sentiments salutaires ; un parfum décent est répandu dans cet air comprimé, la bouilloire même ne bout, sur la table, qu’avec réserve et modération.

La maîtresse de la maison, personnage très important du monde pétersbourgeois, parle si bas qu’on peut à peine l’entendre. Elle parle toujours de cette façon, comme s’il y avait dans la même chambre un malade à l’agonie, et sa sœur, chargée de verser le thé, remue les lèvres sans en faire décidément sortir aucun son, de sorte qu’un jeune homme assis devant elle, tombé par hasard dans le temple, ne peut se rendre compte de ce qu’elle lui veut, tandis qu’elle lui murmure simplement, pour la sixième fois : « Voulez-vous une tasse de thé ? » Dans les angles du salon, on aperçoit des hommes jeunes mais déjà vénérables ; leurs regards décèlent une servilité tranquille ; l’expression de leurs visages, quoique insinuante, est d’un calme