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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/34

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papiers. Mais pourquoi, me direz-vous encore, était-il à Baden ?

Parce que la tante de Tatiana, Capitoline Marcovna Chestof, vieille fille de cinquante-cinq ans, bizarre, presque ridicule, mais bonne et dévouée jusqu’à l’abnégation, esprit fort (elle lisait Strauss, mais en cachette de sa nièce) et démocrate, ennemie jurée du grand monde et de l’aristocratie, n’avait pas pu résister à la tentation de jeter, au moins une fois, un regard sur ce même et grand monde dans un lieu aussi élégant que Baden. Capitoline Marcovna ne portait jamais de crinoline, ses cheveux blancs étaient coupés en rond ; le luxe et l’éclat la troublaient secrètement et il lui était d’autant plus doux d’exprimer hautement le mépris que lui inspiraient toutes ces vanités. Comment ne pas satisfaire la bonne vieille dame ?

Et voici pourquoi Litvinof était si calme, et regardait autour de lui avec tant d’assurance. Sa vie lui apparaissait désormais sans obstacles, sa destinée était tracée, et il était aussi fier que joyeux de cette destinée, qu’il considérait comme une création de ses propres mains.