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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/75

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pu le séduire ; il commença à fréquenter les Osinine depuis qu’il éprouvait un sentiment très vif pour leur fille aînée, Irène.

Elle venait d’avoir dix-sept ans et de sortir de l’Institut, d’où sa mère l’avait retirée à la suite d’un désagrément avec la directrice. Irène devait réciter au curateur, dans une séance publique, un compliment en vers français, lorsqu’on lui préféra, au dernier moment, une autre demoiselle, fille d’un riche fermier des eaux-de-vie. La princesse ne put pas digérer cet affront. Irène elle-même ne pardonna pas à la directrice sa partialité : elle avait songé longtemps comment, tous les yeux étant braqués sur elle, elle se lèverait, prononcerait son discours, et comment tout Moscou ensuite parlerait d’elle… En effet, Moscou se serait probablement occupé d’Irène. Elle était grande, bien faite, quoique son buste un peu creux fût surmonté d’étroites épaules ; elle avait une carnation mate, rare à son âge, claire et unie comme la porcelaine, des cheveux blonds et épais dont quelques touffes étaient plus foncées que d’autres. Admirablement réguliers, les traits de son visage n’avaient pas encore tout à fait perdu cette expression de candeur inhérente à la première jeunesse ; mais dans l’inclinaison nonchalante de son beau cou, dans son sourire moitié languissant, moitié distrait, on devinait une nature nerveuse ; et dans ces lèvres minces, s’entr’ouvrant à peine, dans ce nez bien proportionné, aquilin, mince, il y avait quelque chose de