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Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/152

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cassant les branches sur son passage, murmurant des imprécations contre lui-même et contre elle ; d’autres fois, il gagnait une grange à foin, et tenant obstinément les yeux fermés, il essayait de se contraindre à dormir, et n’y réussissait pas toujours, comme de raison. Il lui suffisait de se figurer que ces chastes bras étreindraient un jour son cou, que ces lèvres si fières répondraient à ses baisers, que ces yeux intelligents s’arrêteraient avec tendresse, oui, avec tendresse sur les siens… ; et il se sentait pris de vertige, il s’oubliait pour quelques instants, jusqu’à ce que l’indignation éclatât de nouveau dans tout son être. Il se surprenait lui-même en flagrant délit de pensées efféminées, comme si le diable le tentait. Il lui semblait parfois qu’un changement s’était opéré chez madame Odintsof, que sa figure avait une autre expression, que peut-être… Mais alors, il frappait presque toujours du pied, ou grinçait des dents en se menaçant du poing.

Cependant Bazarof n’était pas complètement dans l’erreur. Il avait frappé l’imagination de madame Odintsof ; il l’occupait beaucoup. Ce n’est point qu’elle s’ennuyât loin de lui ou qu’elle l’attendît avec impatience ; mais son arrivée l’animait soudainement, elle restait volontiers avec lui en tête à tête, et se plaisait à causer avec lui, même lorsqu’il la contrariait ou qu’il choquait ses goûts ou ses habitudes d’élégance. Elle semblait vouloir s’étudier tout en le mettant à l’épreuve.

Un jour qu’il se promenait avec elle dans le jardin,