Page:Trollope - La Pupille.djvu/197

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mets délicats qui composaient chaque soir ses soupers particuliers.

« Quel est donc l’homme pour qui elle fait de pareils sacrifices ? s’écria mistress Barnes ; c’est donc un dieu ? à moins que ce ne soit un millionnaire.

— C’est le singulier personnage que Sa Seigneurie le comte de Broughton a présenté l’autre semaine au bal, » répondit Jem.

Cependant, malgré les efforts de mistress Barnes, le dîner n’arrivait pas ; Sophie, par tous les moyens imaginables, cherchait à faire passer le temps et à expliquer le retard du second service ; mais M. Jenkins commençait à s’étonner fort de la maladresse de la cuisinière et de la lenteur des domestiques. L’héritière, pour détourner les idées de son hôte, lui fit servir du champagne qu’elle envoya chercher dans son excellente cave ; mais, après le premier verre, l’appétit commençant à se faire sentir, M. Jenkins s’écria :

« Si je vous donne trop de peine et de tracas, je me contenterai de bœuf bouilli, quoique je trouve qu’avec quelques autres mets du même genre, il forme tout ce qu’on peut imaginer de plus détestable ; mais ce qui m’étonne au dernier degré, c’est que vos repas importants soient si différents de vos goûters. Je ne veux pas parler de ceux du major, qui ne sont guère tentants, mais des vôtres, ma chère, de celui que vous m’avez fait partager une fois. À propos de cela, vous deviez me croire disparu pour jamais ainsi que mes jolis cadeaux, n’est-ce pas ? »

Sophie rougit et répondit enfin, malgré son embarras croissant :

« J’espérais toujours avoir le plaisir de vous revoir.

— Je me rappellerai dorénavant que vous aimez mieux qu’on vienne goûter que dîner.