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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/104

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baissât le prix du pain. On ferma en toute hâte les grilles du château, et l’effroi fut tel qu’on délibéra si l’on ne ferait pas partir le roi pour Chambord. Donnant alors le premier exemple de cette faiblesse qui devait plus tard lui être si fatale, Louis XVI ne voulut pas qu’on employât la force contre ces brigands, et commanda à la police de taxer le pain à deux sous la livre. Cette mesure rétablit la tranquillité dans Versailles ; mais les agitateurs se portèrent, dès la nuit même, sur Paris, et y entrèrent le 3, à sept heures du matin.

« Quoiqu’on eût mis sur pied le guet, les gardes-françaises, les gardes-suisses, les mousquetaires et autres divisions de la maison du roi en état de service, ils entrèrent par diverses portes, à la même heure, pillant les boulangers sans exception[1]. » Ces scènes étranges, où l’on entendait des misérables vociférer sur la cherté du pain, pendant qu’ils le jetaient dans la boue, cessèrent plutôt par la lassitude des acteurs que par la répression de l’autorité. Elles ne semblaient pas déplaire au Parlement, au lieutenant de police, ainsi qu’à d’autres personnages considérables[2], et la troupe était encore paralysée par les ordres du roi qui défendaient de tirer sur les bandits. Cependant, le désordre avait cessé vers onze heures, et le maréchal de Biron, en s’emparant alors des carrefours et d’autres points importants de la ville, déjouait à l’avance toute tentative ayant pour but de le renouveler. À une heure, les Parisiens quittèrent leurs maisons pour chercher l’émeute, mais ils ne la rencontrèrent plus nulle part. Maurepas se montra le soir à l’Opéra ; et, quelques jours après, les marchandes de modes inventèrent des bonnets à la révolte.

Turgot ne prit pas cette affaire avec autant de légèreté. Tout porte à croire qu’il avait, sur la nature de la sédition, des renseignements qui sont restés inconnus, et il s’agissait d’as-

  1. Soulavie, ibid., p. 293. — On sait que cet écrivain ne peut être accusé de partialité envers Turgot.
  2. Turgot à Paris écrivait au roi, (le 2 mai) que l’intendant, loin de pacifier les troubles, les animait. Saint-Sauveur, l’ami de Turgot et de la liberté du commerce, ajoutait que Lenoir et Sartine préparaient, pour le 3, des troubles à Paris. (Soulavie, ibid., p. 291.)