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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/117

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Parlement ne tarda pas à retrouver une autre occasion de faire éclater son ressentiment.

Boncerf, commis des finances, et ami du ministre, avait publié un ouvrage sur les inconvénients des droits féodaux. « Rien », lit-on justement, dans l’Histoire du règne de Louis XVI, par M. Droz, « de plus conforme à l’intérêt public, à la raison, que les principes de cet écrit. L’auteur ne demandait pas qu’on forçât les seigneurs à recevoir le remboursement des redevances féodales ; mais il leur démontrait que, s’ils consentaient à ce remboursement, ils pouvaient y mettre un prix qui doublerait et au delà leur revenu. Un de ses vœux était que le roi donnât, dans les domaines de la couronne, l’exemple de ces arrangements bienfaisants. » L’avocat-général, reprenant alors le rôle de d’Esprémenil, n’en fulmina pas moins un violent réquisitoire contre le livre, et il fallut l’intervention du roi pour empêcher que l’auteur ne fût décrété de prise de corps. La Cour ordonna que l’ouvrage serait brûlé par la main du bourreau (mars 1776), et prit un arrêté dans lequel elle suppliait Louis XVI de mettre un terme aux débordements économiques. Cependant, tous les écrits des économistes avaient un caractère sérieux, et l’on ne pouvait citer d’eux une seule ligne qui appelât le mépris sur l’autorité royale, ou qui blessât les mœurs et la religion. Mais les passions et les préjugés aveuglaient tous les esprits, et l’un des grands seigneurs qui passaient pour avoir le plus de lumières, le duc de Nivernais, interrogé par Turgot sur le mérite du livre de Boncerf, lui répondit en présence du roi : « Monsieur, l’auteur est un fou, mais on voit bien que ce n’est pas un fou fieffé. » Enfin, s’il faut en croire un contemporain, dont rien n’infirme le témoignage, un membre même de la famille royale, celui qui touchait au trône de plus près[1], ne

  1. Monsieur, frère du roi, depuis Louis XVIII. — Le royal pamphlétaire est, dans tout le cours de son œuvre, aussi violent que spirituel. On en jugera par ce portrait de Turgot et de Maurepas :

    « Il y avait encore en France un homme gauche, épais, lourd, né avec plus de rudesse que de caractère, plus d’entêtement que de fermeté, d’impétuosité que de tact ; charlatan d’administration ainsi que de vertu, fait pour décrier l’une, pour dégoûter de l’autre ; du reste, sauvage par amour-propre, timide par orgueil.