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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/243

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et ceux où l’infraction en est tolérée, n’étant point spécifiés par la loi même, le sort des citoyens est abandonné à une jurisprudence arbitraire et changeante comme l’opinion. Ce qu’une foule de citoyens pratiquent ouvertement et, pour ainsi dire, avec le sceau de l’approbation publique, sera puni sur d’autres comme un crime ; en sorte que, pour ruiner et flétrir un citoyen qui se reposait avec confiance sur la foi d’une tolérance notoire, il ne faut qu’un juge peu instruit ou aveuglé par un zèle mal entendu.

Les juridictions consulaires admettent les intérêts stipulés sans aliénation du capital[1], tandis que les tribunaux ordinaires les réprouvent et les imputent sur le capital. H existe des peines prononcées contre l’usure ; ces peines sont, pour la première fois, l’amende honorable, le bannissement, la condamnation en de grosses amendes ; et, pour la seconde fois, la confiscation de corps et de biens, c’est-à-dire la condamnation à une peine qui entraîne la mort civile, telle que la condamnation aux galères à perpétuité, ou le bannissement perpétuel. L’ordonnance de Blois, qui prononce ces peines, ne fait aucune distinction entre tous les différents cas que les théologiens et les jurisconsultes ont compris sous la dénomination d’usure ; ainsi, à ne considérer que la lettre de la loi, tout homme qui prête sans aliéner le capital, tout homme qui escompte des billets sur la place, tout homme qui prête à un taux au-dessus de celui de l’ordonnance, a mérité ces peines ; et l’on peut bien dire qu’il n’y a pas un commerçant, pas un banquier, pas un homme intéressé dans les affaires du roi, qui n’y fût exposé. Il est notoire que le service courant de presque toutes les parties de la finance ne se fait que par des négociations de cette espèce.

On répondra sans doute, et cette réponse se trouve même dans des auteurs de droit, d’ailleurs très-estimables, que les tribunaux ne poursuivent par la voie criminelle que les usures énormes ; mais cette réponse même est un aveu de l’arbitraire, inséparable de toute exécution qu’on voudra donner à cette loi ; car quelle règle pourra

  1. Je n’ignore pas que les juridictions consulaires ne prononcent jamais expressément qu’il soit dû des intérêts en vertu de la seule stipulation sur simple billet, sans aliénation du capital ; mais il n’en est pas moins vrai que dans le fait elles autorisent équivalemment ces intérêts, puisque les billets dont elles ordonnent le payement comprennent ordinairement l’intérêt outre le capital, et que les juges-consuls ne s’arrêtent point aux allégations que ferait le débiteur d’avoir compris dans son billet le capital et l’intérêt. (Note de l’auteur.)