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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/287

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LETTRES
SUR
LA LIBERTÉ DU COMMERCE DES GRAINS[1].


PREMIÈRE LETTRE, À M. LE CONTRÔLEUR GÉNÉRAL.

De Limoges, le 30 octobre 1710.

Monsieur, je vous ai promis de vous développer les motifs qui me font regarder toute atteinte à la liberté entière du commerce des

  1. Ces Lettres, dont il n’en reste que quatre, les trois autres ayant été perdues du vivant même de M. Turgot, sont au nombre de ses meilleurs ouvrages. Elles traitent de la liberté du commerce des grains.

    Quoique la liberté de ce commerce soit le plus puissant moyen d’encourager l’agriculture, qui est la manufacture des grains ; quoiqu’elle soit l’unique moyen de former utilement et à peu de frais, dans les années abondantes, des magasins qui puissent subvenir au déficit des années stériles ; quoiqu’il n’y ait pas de meilleur encouragement pour l’importation des grains étrangers quand elle devient nécessaire ; enfin quoique le raisonnement et l’expérience prouvent également qu’avec la liberté les variations de prix sont toujours médiocres, et que sans la liberté il est impossible qu’elles ne soient pas excessives ; c’est une opinion, même encore assez générale, que dans les temps de disette il ne faut pas laisser subsister la liberté du commerce des grains.

    M. l’abbé Terray, qui cependant avait l’esprit juste et le caractère nullement timide, partageait cette opinion. — La cherté générale des grains en 1770, et l’excès de cette cherté dans les provinces montagneuses, le portèrent à révoquer l’édit de juillet 1764 qui, avec des restrictions assez sévères et des limites très-bornées dans les prix, permettait l’exportation jusqu’à ce que ces prix de clôture fussent atteints.

    Il communiqua son projet aux intendants ; il ne haïssait pas la contradiction, et fit part de ses idées à M. Turgot, au moment où celui-ci prenait des soins si multipliés et si pénibles pour assurer la subsistance de sa généralité et pour la répartir équitablement.

    M. Turgot jugea que le projet du ministre serait plus redoutable, plus nuisible à la nation, que le mal passager auquel ce ministre croyait pourvoir, et que la liberté seule aurait empêché de renaître.

    C’est à cette occasion que, sans interrompre le travail journalier dont les circonstances l’accablaient, il écrivit à M. l’abbé Terray les lettres suivantes, dont nous regrettons bien vivement de n’avoir que quatre à transcrire. (Dupont de Nemours.)