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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/311

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et très-préjudiciable à l’incomparablement plus grand nombre des sujets du roi. »

Je ne crois pas m’être trompé dans l’exposition de votre raisonnement, qui porte d’abord, permettez-moi de vous le dire, sur une erreur de fait que je crois avoir suffisamment repoussée dans ma précédente lettre : cette erreur trop générale est de croire que la liberté du commerce doive renchérir le prix moyen des grains. — Mais ce point ayant déjà été éclairci, je n’en suis pas moins obligé d’examiner les trois branches de votre opinion.

Vous convenez d’abord que le système de la liberté est très-avantageux aux propriétaires, dont il augmente les revenus. Nous sommes certainement bien d’accord sur ce résultat ; mais je doute que nous le soyons autant sur les principes dont nous le tirons, et comme ces principes sont fort importants, je m’arrêterai à les discuter.

Je veux cependant avant tout vous faire observer tout l’avantage que vous me donnez en avouant que le système de la liberté augmente le revenu des propriétaires.

Ce revenu, monsieur, est le gage de toutes les rentes hypothéquées sur les biens fonds.

Il est la source de la plus grande partie des salaires, qui font vivre le peuple, car le peuple, le journalier, l’artisan n’a rien par lui-même : il vit des produits de la terre ; il n’a ces produits qu’en les achetant par son travail, et il ne peut les acheter que de ceux qui les recueillent et qui payent son travail avec ces denrées ou avec l’argent qui les représente. C’est donc la masse des subsistances ou plutôt des valeurs produites chaque année par la terre qui forme la masse des salaires à distribuer à toutes les classes de la société. Le cultivateur consomme immédiatement ce qui est nécessaire à sa nourriture[1] ; le reste se partage entre lui et le propriétaire, et tous deux, par leurs dépenses, soient qu’elles aient pour objet la continuation ou l’amélioration de la culture, soit qu’elles se bornent à

  1. L’auteur est fidèle à sa proposition ; les faits le démentent cependant. Le cultivateur, bien qu’il soit à la source de la production, est souvent fort loin de consommer ce qui est nécessaire à ses besoins, surtout dans le sens que Turgot, homme de bien, donnait à ce mot. Le cultivateur vit de privations : il fait croître le blé et mange du pain d’orge ; il engraisse les bestiaux et goûte à peine de viande quelquefois l’an ; il a des vaches, mais il vend leur lait ; en un mot, il végète et ne vit pas. (Hte D.)