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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/322

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tage, il faut, du moins jusqu’à ce que le nombre des consommateurs soit augmenté, que la denrée baisse de prix. Cette baisse est assurée tant qu’elle peut subsister avec le profit du cultivateur.

Rappelez-vous, monsieur, ce que j’ai eu l’honneur de vous développer fort au long dans ma dernière lettre, sur la différence du prix moyen du laboureur et du prix moyen du consommateur. Je crois y avoir démontré que la seule égalisation des prix, véritable but et infaillible effet de la liberté, sans augmenter en rien le prix moyen du consommateur, et en rapprochant seulement de ce prix le prix moyen du laboureur vendeur, assure à celui-ci un profit immense. Ce profit est assez grand pour qu’il en reste encore beaucoup, quand même il diminuerait un peu par la baisse du prix à l’avantage du consommateur. Or, s’il y a encore du profit pour le cultivateur en baissant le prix, la concurrence entre les cultivateurs le fera baisser. Peut-être dans la suite l’augmentation des revenus, en augmentant la masse des salaires, fera-t-elle augmenter la demande ; ceux qui ne mangeaient que de la bouillie de blé noir mangeront du pain, ceux qui se bornaient au pain de seigle y mêleront du froment. L’augmentation de l’aisance publique accroîtra la population, et de cette augmentation de besoins naîtra une légère augmentation dans les prix ; nouvel encouragement pour la culture, qui, par la multiplication des productions, en fera de nouveau baisser la valeur. C’est par ces ondulations alternatives et légères dans les prix que la nation entière s’avancera par degrés au plus haut point de culture, d’aisance, de population dont elle puisse jouir eu égard à l’étendue de son territoire. Les revenus et la richesse publique augmenteront, sans que pour cela le prix moyen pour le consommateur augmente, et même quoiqu’il diminue un peu.

L’expérience est ici pleinement d’accord avec le raisonnement : cette expérience n’a été faite qu’une fois, et même elle n’a été faite qu’à demi, puisque l’Angleterre n’a pas accordé la liberté entière du commerce des grains, et que, non contente d’avoir encouragé l’exportation par une gratification, elle a encore repoussé l’importation par des droits équivalents à une prohibition. Quel a été le résultat de cette conduite ? il est aisé de le connaître ; car les états des prix des grains en Angleterre sont publics et sous les yeux de tout le monde : ce que je vais dire en est tiré. Dans les quarante années