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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/34

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renfermé dans cette idée sublime l’amour de Dieu et l’amour des hommes, et dans ces deux amours tous les devoirs ? »

Arrivant ensuite à l’action exercée par le christianisme sur la politique, qu’il appelle « l’art de faire le bonheur des sociétés et d’en assurer la durée », il établit, par les faits et le raisonnement, combien elle a été bienfaisante.

« Ni les progrès lents et successifs, dit-il, ni la variété des événements (qui élèvent les États sur les ruines les uns des autres, n’ont pu abolit un vice fondamental enraciné chez toutes les nations, et que la seule religion a pu détruire. Une injustice générale a régné dans les lois de tous les peuples. Je vois partout que les idées de ce qu’on a nommé le bien public, ont été bornées à un petit nombre d’hommes ; je vois que les législateurs les plus désintéressés pour leurs personnes ne l’ont point été pour leurs concitoyens, pour la société, ou pour la classe de la société dont ils faisaient partie : c’est que l’amour-propre, pour embrasser une sphère plus étendue, n’en est pas moins disposé à l’injustice, quand il n’est pas contenu par de grandes lumières ; c’est qu’on a presque toujours mis la vertu à se soumettre aux opinions dans lesquelles on est né ; c’est que ces opinions sont l’ouvrage de la multitude qui nous entoure, et que la multitude est toujours plus injuste que les particuliers, parce qu’elle est plus aveugle et plus exempte de remords.

« Ainsi, dans les anciennes républiques, la liberté était moins fondée sur le sentiment de la noblesse naturelle des hommes, que sur un équilibre d’ambition et de puissance entre les particuliers. L’amour de la patrie était moins l’amour de ses concitoyens, qu’une haine commune pour les étrangers. De là, les barbaries que les anciens exerçaient envers leurs esclaves ; de là, cette coutume de l’esclavage répandue autrefois sur toute la terre ; ces cruautés horribles dans les guerres des Grecs et des Romains ; cette inégalité barbare entre les deux sexes, qui règne encore aujourd’hui dans l’Orient ; ce mépris de la plus grande partie des hommes, inspiré presque partout aux hommes comme une vertu, poussé dans l’Inde jusqu’à