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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/356

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puisque la proportion naturelle des prix du grain avec les prix de toute autre chose est rompue, que quelque partie languisse et peut-être toutes ; il faut ou que les cultivateurs et par conséquent la culture souffrent ; que la richesse nationale diminue ainsi que la masse des salaires ; que la somme des productions devienne moindre de jour en jour, etc. ; ou bien il faut que la perte tombe sur le peuple consommateur, qu’il soit privé de son aisance, que la population se dégrade, etc. ; ou bien il faut que toute la perte du défaut de proportion dans les prix tombe sur la compagnie.. Mais une pareille perte ne peut durer sans la ruiner. Elle se soutiendra quelque temps par des emprunts, et comme elle ne pourra en payer les intérêts qu’en entamant ses capitaux, bientôt elle ne pourra longtemps y faire face. Elle sera conduite à la banqueroute par cette cause seule quand elle ne le serait pas par mille autres ; elle le sera d’autant plus sûrement que, dans la vérité, voulût-elle suivre pour ses prix les variations qu’exigent les circonstances du commerce, elle ne le pourrait pas, parce qu’il est d’une impossibilité absolue à quelque homme que ce soit de suivre dans leurs changements successifs la multitude de causes qui se combinent et changent les prix des choses commerçables. La théorie la plus déliée n’a point encore réussi à en faire l’énumération, encore moins à les évaluer. La situation actuelle de chacune et la mesure précise de son action est encore plus hors de la portée de l’observateur le plus pénétrant et le plus attentif. L’administrateur qui croirait pouvoir diriger le cours des prix d’après des calculs de ce genre ressemblerait au médecin Sylva, qui croyait calculer les effets de la saignée d’après la vitesse et la quantité du sang comparées avec les diamètres et la force contractive des artères et des veines, et qui, sans s’en douter, présentait comme résolus, d’un trait de plume, cent problèmes qui auraient inutilement fait pâlir toute leur vie les Newton et les Bernouilli. La compagnie ne pourrait suivre dans ses prix la variation qu’exigerait la situation du commerce, parce qu’il lui serait absolument impossible de la connaître. Elle serait par cela seul conduite inévitablement à sa ruine.

Maintenant, monsieur, daignez envisager l’effet qui résulterait immédiatement de la banqueroute d’une pareille compagnie qui aurait dans sa main le sort de tous les laboureurs, celui de tous les capitalistes de qui elle aurait emprunté, et qui serait devenue la