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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/36

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de la perfectibilité indéfinie de notre espèce, ou la doctrine du progrès, se rencontre là formulée pour la première fois. Cette doctrine, qui paraît avoir été chez Turgot une conviction profonde, ne se trouve, par malheur, qu’indiquée au début de son discours, et y manque de développement. Le fait est d’autant plus regrettable, qu’il a laissé aussi sans exécution un grand ouvrage, où, selon le témoignage de Condorcet, il devait exposer, dans un ordre méthodique, toutes ses idées sur l’âme humaine, sur l’ordre de l’univers, sur l’Être suprême, sur les principes des sociétés, les droits des hommes, les constitutions politiques, la législation, l’administration, l’éducation physique, les moyens de perfectionner l’espèce humaine, relativement au progrès et à l’emploi de ses forces, au bonheur dont elle est susceptible, à l’étendue des connaissances auxquelles elle peut s’élever, à la rectitude, à la clarté, à la simplicité des principes de conduite, à la délicatesse, à la pureté des sentiments qui naissent et se développent dans les âmes, aux vertus dont elles sont capables. Voici toutefois comment s’exprimait le jeune philosophe :

« Les phénomènes de la nature, soumis à des lois constantes, sont renfermés dans un cercle de révolutions toujours les mêmes. Tout renaît, tout périt ; et dans ces générations successives, par lesquelles les végétaux et les animaux se reproduisent, le temps ne fait que ramener à chaque instant l’image de ce qu’il a fait disparaître. — La succession des hommes, au contraire, offre de siècle en siècle un spectacle toujours varié. La raison, les passions, la liberté, produisent sans cesse de nouveaux événements. Tous les âges sont enchaînés par une suite de causes et d’effets, qui lient l’état du monde à tous ceux qui l’ont précédé. Les signes multipliés du langage et de l’écriture, en donnant aux hommes le moyen de s’assurer la possession de leurs idées et de les communiquer aux autres, ont formé de toutes les connaissances particulières un trésor commun, qu’une génération transmet à l’autre, ainsi qu’un héritage, toujours augmenté des découvertes de chaque siècle ; et le genre humain, considéré depuis son origine, paraît aux