Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tés sur lesquelles je me suis appesanti ; quand on supposerait la réussite la plus complète de toutes ces opérations, à quoi serait-on arrivé ? à produire par les moyens les plus compliqués, les plus dispendieux, les plus susceptibles d’abus de toute espèce, les plus exposés à manquer tout à coup, et à produire en manquant les effets les plus désastreux, précisément ce que le commerce laissé à lui-même doit faire infailliblement à infiniment moins de frais et sans aucun danger, c’est-à-dire à égaliser autant qu’il est possible les prix du grain dans les bonnes et dans les mauvaises années. Les magasins du commerce sont tout faits, ils n’exigent aucune avance ; ses correspondances sont ou seront bientôt montées quand on lui assurera la liberté.

Il sera mieux instruit et des lieux où il est avantageux d’acheter, et de ceux où il est avantageux de vendre ; il le sera plus promptement que le gouvernement le plus attentif et les municipalités les plus vigilantes. Il voiturera, il conservera les grains avec bien plus d’économie et bien moins de déchet que des régisseurs, qui, payés ou non, agiraient pour l’intérêt d’autrui. Jamais il ne pourra faire la loi au laboureur dans ses achats, ni au consommateur dans ses ventes, parce que l’intérêt et le désir du gain, qui est commun à tous les négociants, produit la concurrence, qui est un frein pour tous, et qui rend impossibles toutes ces manœuvres et ces prétendus monopoles dont on se fait un si grand épouvantail. Si les manœuvres pour faire hausser le prix exorbitamment sont possibles, ce n’est que lorsqu’il n’y a point de liberté ; car alors les possesseurs actuels du grain d’un côté, et les consommateurs de l’autre, n’envisageant point les ressources promptes d’un commerce monté pour remplir le vide qui se fait sentir, les vendeurs ne mettent point de bornes à leurs demandes, ni les acheteurs à leurs offres. C’est l’avidité qui marchande avec la terreur, et ni l’une ni l’autre n’ont de mesure fixe. De là le resserrement et le prix excessif de la denrée, de là les variations soudaines et fréquentes dans sa valeur. Mais quand le commerce est libre, l’intérêt éclairé du commerçant calcule, d’après des données dont il vérifie l’exactitude, le prix du lieu ou du temps de l’achat, et celui des frais de transport et de magasinage, avec l’intérêt de son argent et le profit ordinaire du commerce. Il sait qu’il n’y a pas à espérer une augmentation plus forte dans les prix, et il se hâte de vendre pour faire rentrer ses fonds promptement, et