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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/362

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enlève là. Il faut pourtant qu’une porte soit ouverte ou fermée. On ne peut pas prendre du blé dans un lieu où il est abondant, soit pour porter ailleurs, soit pour emmagasiner, sans que le prix y augmente. Si le peuple souffre avec impatience cette légère augmentation, s’il crie au monopole, si les magistrats, au lieu de réprimer ses clameurs et d’opposer l’instruction à ses préjugés, les partagent ; si le gouvernement daigne y faire attention, peut-être en gênant le commerce parviendra-t-il à maintenir en effet le bas prix dans les lieux et dans les années où la récolte est abondante ; mais c’est à condition que le grain sera payé plus cher dans les lieux et dans les années où la récolte aura manqué. Cela me fait souvenir d’un propriétaire qui venait de construire une maison : un homme auquel il faisait voir, en hiver, les appartements qui fermaient mal, trouva qu’ils étaient excessivement froids. Oui, répondit le propriétaire, mais en récompense ils seront bien chauds en été. L’excès de cherté et l’excès de bas prix sont deux maux comme l’excès du froid et l’excès du chaud, et jamais de ces deux extrêmes ne résultera le bien-être de personne.

Celui du consommateur gît essentiellement dans la plus grande égalité possible des prix. À envisager les choses sous un point de vue général, que lui importe le prix du grain, pourvu qu’il soit constant ? que lui importe de donner plus ou moins d’argent pour une certaine quantité de blé, si lorsqu’il donne plus il reçoit plus de salaire à proportion ? la valeur vénale des denrées, le revenu, le prix des salaires, la population, sont des choses liées entre elles par une dépendance réciproque, et qui se mettent d’elles-mêmes en équilibre, suivant une proportion naturelle ; et cette proportion se maintient toujours, lorsque le commerce et la concurrence sont entièrement libres.

La chose est évidente dans la théorie ; car ce n’est pas au hasard que les prix des choses sont fixés. Cette fixation est un effet nécessaire du rapport qui est entre chaque besoin des hommes et la totalité de leurs besoins, entre leurs besoins et les moyens de les satisfaire. Il faut bien que l’homme qui travaille gagne sa subsistance, puisque c’est le seul motif qui l’engage à travailler. Il faut bien que celui qui le fait travailler lui donne cette subsistance, et achète par ce moyen le travail du salarié, puisque sans ce travail il ne pourrait ni avoir un revenu ni en jouir.