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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/44

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Dans les Lettres sur la tolérance et le Conciliateur, se trouve agitée une question qui ne préoccuperait peut-être pas encore les esprits au moment où nous traçons ces lignes, si les hommes appelés plus tard à la résoudre eussent été convaincus, comme Turgot, qu’au lieu de la ruse et du mensonge, la politique ne devait avoir d’autre point d’appui que la raison et la morale. Cette question est celle du rôle qui appartient à l’État en matière de religion.

Le principe posé par ce noble représentant des idées d’ordre et de progrès au dix-huitième siècle, est qu’aucune religion, en dehors de sa complète liberté d’existence, pourvu même que ses dogmes et son culte ne soient pas contraires au bien de la société, n’a de droit à la protection de l’État. Il en est ainsi parce que, d’une part, l’État n’a que le devoir de protéger des intérêts communs à tous, et que de l’autre l’intérêt de chaque homme est isolé par rapport au salut. Comme, par la nature des choses, chacun ne relève que de Dieu dans cette importante affaire, il est évident que la loi ne saurait intervenir dans l’ordre spirituel qu’en essayant de violenter les consciences, ce qui est absurde, puisque la foi ne s’impose pas ; et qu’en s’efforçant de sacrifier le droit d’une partie de la société au droit de l’autre, ce qui serait une injustice révoltante. Les choses du ciel sont essentiellement distinctes de celles de la terre. À chaque Église le gouvernement des âmes, la direction dans les voies du salut, et au souverain l’unique soin de veiller à la conservation et au bonheur de l’État. Il est juge, non des croyances, mais des actions. Il ne lui appartient pas de prononcer entre l’Alcoran et l’Évangile, comme doctrine religieuse ; mais il a le droit incontestable de juger la valeur respective des dogmes de l’un et de l’autre, dans leur rapport avec le bien de l’État. Si donc un sectateur de Mahomet voulait prêcher la polygamie en France, son zèle devrait y être proscrit, non parce qu’il blesserait la morale de l’Évangile, mais parce qu’il offenserait nos mœurs et nos lois. La puissance publique, en un mot, ne s’exerce ici-bas que dans l’intérêt seul des hommes, et non dans celui de la Divinité, dont la cause n’a