Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La conduite de Turgot dans son intendance eut pour règle les idées des physiocrates, qui commençaient à gagner du terrain dans l’opinion de tous les amis du progrès. À cette époque, où l’on avait sous les yeux les tristes résultats de l’intervention du gouvernement dans l’ordre économique, les penseurs estimaient que les souffrances de la société provenaient, non de la divergence nécessaire des intérêts individuels, mais de la compression imprudente qu’on faisait subir à leur essor dans le cercle que la justice a tracé. La liberté, la propriété, la famille, ne leur paraissaient pas constituer des abus ; et ils n’avaient pas imaginé, comme certains philosophes de nos jours, qu’un pouvoir quelconque pût s’arroger le droit de discuter l’abolition ou le maintien de la personnalité humaine. Aussi Turgot, loin de vouloir offrir cette dernière en holocauste à l’État, n’eut-il d’autre but que de l’affranchir de toutes les gênes qui ne sont pas inhérentes à l’état de société. L’amélioration de l’assiette et de la perception de l’impôt, la réforme de la milice, la suppression de la corvée, et le relâchement des mille liens dans lesquels se débattaient les industries agricole, manufacturière et commerciale, devinrent l’objet principal des efforts que lui suggérait son ardent amour de l’humanité. Il tentait ainsi de rétablir l’individu dans la jouissance de ses droits naturels, pour qu’il eût intérêt à respecter ses devoirs de citoyen.

Simple agent du pouvoir exécutif, Turgot n’avait qu’une autorité dont les limites étaient fort restreintes. Il y suppléa par l’ascendant que donnent les lumières et la vertu. Ses rapports au Conseil d’État, sa correspondance avec les ministres, l’exposé plein de force et de modération de ses doctrines gouvernementales, en assuraient presque toujours le triomphe. En même temps, il combattait par des moyens analogues les obstacles que ses innovations rencontraient dans l’ignorance et les préjugés populaires. Dans des circulaires touchantes, il appelait les curés et tous les notables habitants des villes et des campagnes à lui prêter le secours de leur influence, soit pour cadastrer le Limousin, soit pour substituer à l’impôt inique de