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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/527

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en pure perte, et le cultivateur, jouissant de toute la dépense du consommateur, pourrait étendre avec profit son exploitation sur des terres plus médiocres, dont les nouveaux produits feraient vivre des citoyens desquels aujourd’hui l’existence est impossible, parce que s’ils naissaient, la subsistance leur manquerait.

L’impôt par voie de monopole est encore bien pire. Par l’extrême disproportion des prix, il devient un appât cruel pour la contrebande. On fait jouer au roi le rôle de ces gens qui étalent du grain à des oiseaux pour les faire tomber dans un piège.

Dans tout impôt indirect, les prévarications des commis sont impossibles à éviter. On est obligé pour constater les fraudes de donner aux commis le droit d’être crus sur leurs procès-verbaux, ce qui peut devenir une source de vexations impossibles à réprimer[1].

La complication des tarifs et des lois qui règlent la perception et veulent prévenir l’infraction, met le peuple dans l’impossibilité physique de résister aux vexations, car au milieu de tant d’obscurités, quel particulier oserait risquer les frais d’un procès contre les agents de l’autorité ?

Les impositions sur les mutations et sur les actes de la société sont d’un genre non moins odieux.

Il semble que la finance, comme un monstre avide, ait été guetter

  1. Si nous sommes bien informé, et nous avons tout lieu de le croire, il se concède de nos jours, en matière de douanes, un droit Lien plus exorbitant que celui-là. On sait qu’aux frontières la contrebande a lieu tantôt à pied, tantôt à cheval. Or, dans ce dernier cas, les instructions administratives, sinon la loi, autorisent les agents de la douane à faire feu, non pas il est vrai sur la personne du fraudeur, ou, pour parler plus exactement, de celui qui est réputé tel, mais sur sa monture. Ne trouvez-vous pas la distinction charmante, et le code de la fiscalité éminemment philanthropique ? Comme on n’a pas sous les yeux la preuve officielle de cette disposition, on n’en affirme pas l’existence d’une manière absolue, mais ce qu’on peut garantir, c’est qu’à la frontière du Nord les employés l’admettent aussi bien en pratique qu’en théorie, et qu’elle passe même, dans l’opinion du peuple, pour être conforme à la légalité. Du reste, rien ne doit surprendre de la part d’une législation qui permet la visite corporelle des hommes et des femmes pour repousser l’introduction sur le territoire français de quelques onces de sucre ou de tabac, c’est-à-dire qui soumet les citoyens du dix-neuvième siècle à un genre d’avanie dont les annales seules du moyen âge fournissent des exemples analogues. Mais peut-être, pour comprendre tout ce qu’a de sauvage un pareil procédé, faudrait-il, comme celui qui écrit ces lignes, avoir rencontré, à la délimitation artificielle du territoire, un homme en blouse, armé d’un fusil, qui, d’un ton brusque, vous commande de le laisser visiter vos poches et palper vos vêtements, ou de rebrousser chemin ! (E. D.)