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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/531

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Or, il est évident que c’est ce revenu seul que l’impôt peut partager, puisqu’il ne pourrait empiéter sur la part du cultivateur, sans lui ôter l’intérêt de cultiver, sans l’obliger de consommer ses avances, par conséquent de diminuer ses entreprises et ses dépenses productives. La production des années suivantes étant moindre, l’empiétement de l’impôt deviendrait de plus en plus destructeur, et la production, et les sources des revenus de l’État, tariraient avec celles du revenu des propriétaires.

Il n’est plus besoin de revenir sur l’impôt indirect, qui détruirait


    exact de considérer le profit du propriétaire foncier comme une addition au revenu national », ajoute : « Ainsi, voilà la seule valeur que les anciens économistes regardassent comme un revenu, à laquelle on refuse même le nom de revenu. »

    Il nous semble qu’ici J.-B. Say fausse la pensée du commentateur, et que Buchanan n’a voulu dire autre chose, si ce n’est que la société ne gagnait rien à l’existence et surtout à l’élévation de la rente territoriale. Mais cette proposition, dont la première partie manque de vérité, attendu que l’appropriation du sol est un fait social nécessaire, ne prouve pas dans sa seconde, contre le système des anciens économistes, que le profit foncier ne soit un revenu éminemment disponible, et, par cette raison, éminemment imposable, comme le prétendait l’école. Et, à fortiori, prouve-t-elle moins encore que la rente territoriale ne soit pas un revenu réel.

    « Le revenu », dit ailleurs Buchanan, que nous citons toujours d’après J.-B. Say, « dont un consommateur paye ce qui constitue le profit d’un terrain, existe dans les mains du consommateur avant l’achat du produit. Si le produit coûtait moins (c’est-à-dire si le consommateur n’avait pas le profit foncier à payer), la valeur de ce surplus demeurerait entre ses mains et y formerait une matière imposable tout aussi réelle que lorsque, par l’effet du monopole, la même valeur a passé dans les mains du propriétaire foncier. »

    Nous ne concevons pas davantage la force de cette argumentation, toujours dirigée contre le système des anciens économistes. Dans quelle hypothèse, en effet, peut-on admettre que le consommateur n’aurait pas à payer ce qui constitue le profit d’un terrain ? Il est évident que si la terre n’était pas appropriée, elle tomberait dans le domaine public, elle appartiendrait à l’État. Mais de cet état de choses il ne pourrait résulter que deux faits nouveaux : ou l’État tirerait du sol les mêmes redevances qu’en tirent les propriétaires actuels, ou il l’abandonnerait temporairement et sans redevance à ceux qui seraient pourvus des capitaux indispensables à son exploitation. Or, de l’une et de l’autre manière, la rente territoriale subsisterait toujours. Dans le premier cas, ce serait au profit du Trésor, dans le second, au profit des concessionnaires du sol ; les propriétaires fonciers auraient disparu, il est vrai, mais non la rente, c’est-à-dire, selon l’expression de Turgot, ce qui excède la part du cultivateur, ou le remboursement avec bénéfice honnête des avances de toute nature faites à la terre, le salaire du travail y compris nécessairement. Si donc il est impossible d’imaginer une combinaison où les consommateurs échapperaient au payement du profit foncier, il l’est de même de concevoir que ce profit puisse jamais devenir entre leurs mains, comme le veut Buchanan, une matière imposable. (E. D.)