Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avances ne pourraient augmenter ; la chose est de toute évidence[1].

Mais, dit-on, l’argent n’étant point rendu à la circulation, diminue les valeurs vénales et par contre-coup les reprises des fermiers

  1. Il y a sur ce point quelque légère différence, et encore plus apparente que réelle, entre ce que dit M. Turgot et ce que pensait M. Quesnay.

    La grande nécessité d’épargner sur les revenus, et même autant qu’il serait possible sur les salaires, pour concourir à la formation des capitaux, ne saurait être contestée.

    Mais la manière de faire ces épargnes n’est pas indifférente.

    Si elle se fait par thésaurisation, elle apporte quelque dérangement à l’ordre naturel des distributions, et quelque diminution dans le prix des productions, partant dans l’intérêt de les multiplier et d’en étendre la culture. — C’était l’opinion de M. Quesnay.

    Mais, si les économies sont faites par l’emploi de l’argent à de nouveaux travaux utiles, comme la fabrication d’objets de jouissances durables, tels que des maisons, des meubles, des étoffes, surtout des plantations, des dessèchements, des directions d’eaux plus avantageuses, ou des prêts bien entendus à ceux qui font de l’argent ces profitables usages, l’argent est dépensé, les récoltes débitées à profit, et cependant les richesses accumulées et les capitaux formés.

    Lorsque les cultivateurs, et avant eux les chasseurs ou les pêcheurs, ont épargné, ce qui certainement, et comme le remarque très-bien M. Turgot, a causé la première stabilisation de richesses, la première formation des capitaux, ce n’était pas en gardant de l’argent, car il n’y avait alors aucun argent en circulation ; mais les chasseurs ont amélioré et multiplié leurs armes, les pêcheurs leurs canots et leurs filets, les pâtres et les cultivateurs leurs bestiaux ou leurs bâtiments ; tous, leurs divers effets mobiliers ; et c’est ce qu’ils font encore aujourd’hui. C’est même ce qui fait que les économies les plus profitables de toutes à la société sont celles des cultivateurs, parce que leur plus forte partie est en bétail. — Quand l’argent s’est introduit, et quand il a pris la qualité de monnaie, il a été un effet mobilier de plus et très-utile, parce qu’il a facilité les échanges, et aussi les très-petites économies, qui contribuent à la formation des capitaux, comme les ruisseaux à celle des rivières.

    M. Quesnay a toujours reconnu les avantages de ces petites économies préliminaires et indispensables, avant que l’on puisse trouver à l’argent qu’elles rassemblent un emploi actif, soit productif, soit au moins transformateur d’un travail soldé en objets d’une jouissance prolongée.

    Il n’a blâmé que la thésaurisation qui empêcherait le débit de quelques productions ou en diminuerait le prix, et qui obligerait, pour maintenir ou rétablir la circulation, d’acheter à l’étranger plus de métaux qu’il n’en serait nécessaire, si les petites économies elles-mêmes étaient promptement consacrées à des emplois d’où résulterait du travail et de la consommation utile, et surtout si elles étaient presque de suite consacrées à un travail productif, tel que celui de la culture ou des autres exploitations qui font naître ou procurent des richesses nouvelles.

    M. Turgot dit avec raison qu’il faut des économies, sans quoi les capitaux ne pourraient pas se former ; et M. Quesnay, avec non moins de raison, qu’il ne faut pas de thésaurisation, sans quoi les capitaux seraient formés plus tard et moins utilement, attendu qu’il en résulterait un retard dans le travail et du désavantage dans le débit. (Note de Dupont de Nemours.)