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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/579

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que l’entrepreneur tire l’intérêt de son argent, et que de plus il vive aussi[1].

Le prix de fantaisie qu’on donne à quelques gens à talent ne contredit point ce principe, non-seulement parce que c’est un petit objet dans la somme de l’industrie d’une nation, mais parce que ce surhaussement de prix est toujours relatif au prix commun de la journée combinée avec la rareté du talent de celui qu’on paye plus cher. — Cela posé, quand on taxe l’industrie, il faut ou que l’homme industrieux exige un salaire plus fort, et que par conséquent il fasse payer l’impôt qu’on a voulu lui faire supporter au propriétaire, ou bien qu’il trouve à vivre à meilleur marché, il ne peut vivre à meilleur marché qu’en consommant moins ou en achetant moins cher sa subsistance ; il ne peut même parvenir à payer moins cher sa subsistance qu’en consommant un peu moins, sans quoi le vendeur resterait maître du prix. De façon ou d’autre, il diminue le revenu du propriétaire, qui n’est formé que par la vente des denrées que sa terre produit par le travail du cultivateur. Soit comme acheteur, soit comme vendeur, il faut que le propriétaire paye tout. Le propriétaire, il est vrai, ne paye pas directement sur ses revenus tous les salaires de l’industrie ; mais cela revient au même : le cultivateur, qui en paye une partie, soit pour son vêtement, soit pour les instruments de la culture, passe toujours et nécessairement cette dépense dans le compte des frais de sa culture, et toute augmentation dans les frais de culture est en diminution de revenu pour le propriétaire, qui ne peut avoir de revenu que les frais de culture payés.

Il y a de très-fortes raisons de penser que l’imposition sur l’industrie retombe au double sur le propriétaire ; mais elles seraient d’une discussion trop longue, et il n’est pas nécessaire que je m’y livre en ce moment. Si le vingtième d’industrie qu’on veut conserver formait un objet important, il vaudrait beaucoup mieux en reverser le montant sur l’imposition territoriale, que de conserver une taxe dans laquelle il est impossible d’éviter l’arbitraire. Mais on pense que, vu sa modicité, le meilleur parti à prendre est de le supprimer.

J’ai une seconde observation non moins importante à faire sur cet article. L’abonnement qu’il annonce est fait généralité par généralité, c’est-à-dire que chaque généralité doit payer exactement la même somme qu’elle payait en 1763. Or, je pense que si l’imposition territoriale doit subsister quelque temps, il est essentiel de se réserver la faculté de changer la répartition de province à province, 1o parce qu’elle n’est pas moins inégale et moins incertaine que celle de paroisse à paroisse ; 2o parce qu’il y a lieu d’espérer que l’augmentation de la culture, qui doit résulter de la liberté du commerce des grains et de l’établissement d’une meilleure forme d’imposition, ranimera les provinces, qui sont aujourd’hui presque entièrement en non-valeur. Ces provinces ont aujourd’hui besoin d’être soulagées, et seront dans la suite en état de supporter une imposition beaucoup plus forte, parce qu’elles augmenteront beaucoup plus en revenu que celles où la grande culture est maintenant établie, comme la Normandie, la Picardie, la Beauce, l’Île de France et quelques parties de l’Orléanais et de la Champagne. Abonner le vingtième par

  1. Ce qui règle véritablement le salaire, c’est le rapport de la demande à l’offre du travail, rapport qui dépend de l’abondance relative des capitaux et de la population. L’auteur ne semble pas avoir une perception bien nette de cette importante vérité. (E. D.)