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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/63

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qui ne sont qu’industrieuses et commerçantes, vivent-elles ? Comment s’enrichissent-elles ? Si l’impôt ne peut être pris que sur le produit net des terres (conséquence de la doctrine de Quesnay), comment ces nations payent-elles des impôts ? Est-ce que l’industrie serait richesse dans un État commerçant, et ne serait pas richesse dans un État agricole ? » Et, pour justifier cette opinion, l’auteur citait Tyr et Carthage dans l’antiquité ; Hambourg, Venise, Gênes, la Hollande dans les temps modernes.

Turgot répond, en substance, qu’on interprète ici le mot richesse dans un sens que l’école ne lui a pas donné. Il faut distinguer, dit-il, entre les biens (bona), qui sont tout objet de jouissance, de possession, de désir, de besoin ; les valeurs (merces), toute chose susceptible d’échange et d’évaluation ; les richesses (opes), tout bien commerçable, tout objet de jouissance qui a une valeur ; le revenu enfin, qui est la richesse que donne la terre au delà des frais et reprises de ceux qui la cultivent. Il y a des biens, comme l’eau par exemple, qui n’ont pas de valeur. Le travail a de la valeur, mais n’est pas lui-même un bien. Des graines, des étoffes, sont des richesses. Ce qu’un fermier rend au propriétaire d’une terre est un revenu.

Il n’y a rien d’étonnant, ajoute-t-il, que les peuples qu’on a cités, favorisés par une position géographique toute particulière, qui a rendu leur territoire des lieux d’entrepôt du commerce le plus étendu ; mis en possession d’un monopole naturel qu’ils ont exploité habilement, aient pu donner à leur travail une haute valeur et acquérir, par ce moyen, joint à une grande économie, des richesses considérables. Ce sont des gens qui ont touché des salaires très-supérieurs à leurs besoins, et qui, par l’épargne, ont accumulé des capitaux dont l’abondance, en amenant la baisse de l’intérêt de l’argent, leur a offert de nouvelles facilités pour s’enrichir. Mais ces forts salaires, à l’aide desquels ils ont pu acquitter toutes leurs dépenses publiques, « ils ne les ont pas produits, ni les richesses qui les payent ; ils les ont légitimement gagnés par leur travail, que leur situation a rendu à la fois lucratif pour eux, utile à ceux qui