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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/672

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pendant un certain nombre d’années. Ces fermiers se chargent de toutes les dépenses de la culture, des labours, des semences, de meubler la ferme de bestiaux de toute espèce, des animaux et des instruments de labour. Ces fermiers sont de véritables entrepreneurs de culture, qui ont à eux, comme les entrepreneurs dans tout autre genre de commerce, des fonds considérables, et qui les font valoir par la culture des terres. Lorsque leur bail est fini, si le propriétaire ne veut plus le continuer, ils cherchent une autre ferme où ils puissent transporter leurs richesses et les faire valoir de la même manière. Le propriétaire de son côté offre sa terre à louer à différents fermiers. La concurrence de ces fermiers donne à chaque terre, à raison de la bonté du sol, une valeur locative courante, si j’ose ainsi parler, valeur constante et propre à la terre, indépendamment de l’homme qui la possède. Il n’y a pas de propriétaire de biens-fonds, dans quelqu’une des provinces que je viens de nommer, qui ne sache que les choses s’y passent ainsi.

Il est bien évident que cette valeur locative universelle, cette égalité de culture qui fertilise la totalité du territoire, n’est due qu’à l’existence de cette espèce précieuse d’hommes qui ont non pas seulement des bras, mais des richesses à consacrer à l’agriculture ; qui n’ont d’autre état que de labourer, non pour gagner leur vie à la sueur de leur front comme des ouvriers, mais pour employer d’une manière lucrative leurs capitaux, comme les armateurs de Nantes et de Bordeaux emploient les leurs dans le commerce maritime. Là où les fermes existent, là où il y a un fonds constant de richesses circulant dans les entreprises d’agriculture, là est la grande culture : là, le revenu des propriétaires est assuré, et il est facile de le connaître.

Les pays de petite culture, c’est-à-dire au moins les quatre septièmes de l’étendue du royaume[1], sont ceux où il n’existe point

  1. Quesnay assigne, dans l’article Grains de l’Encyclopédie, 30 millions d’arpents (de 51 ares 07) à la petite culture, et 6 millions seulement à la grande ; soit approximativement, pour la première, 15 millions d’hectares, et 3 millions pour la seconde. Il borne, à peu de choses près, la grande culture à la Normandie, la Beauce, l’Île de France, la Picardie, la Flandre française et le Hainault. L’on sait aujourd’hui, par les statistiques officielles, que l’exploitation des terres arables comprend 25,559,151 hectares, mais l’on ignore complètement quel est le rapport actuel de la grande à la petite culture. Cependant, rien ne serait plus facile à déterminer que ce rapport, et même d’une manière presque rigoureuse, par le moyen