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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/738

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cette quantité à 3 millions 600,000 livres ou 4 millions, somme presque égale au montant des impositions ordinaires de la province, et qui ne peut rentrer par les voies ordinaires du commerce qu’au bout d’un assez grand nombre d’années ; et je représentais l’obstacle que ce vide dans la circulation devait nécessairement mettre au recouvrement des impositions. J’insistais encore sur la nécessité de suppléer, par un soulagement effectif, à l’impossibilité où s’étaient trouvés une grande partie des contribuables de payer leurs impositions dans un temps où, faute de moyens pour subsister, ils étaient obligés de vivre de charité.

Tous ces faits sont exactement vrais, monsieur ; mais une chose non moins vraie, et qui ne paraît pas vous avoir assez frappé, c’est que ce malheureux sort a été particulier au Limousin et à quelques cantons limitrophes des provinces voisines, dont aucune n’a autant souffert. Le cri général qui s’est élevé dans les derniers mois de l’été dernier a pu faire illusion ; mais il est très-certain que, dans le plus grand nombre des provinces, la cherté ne s’est fait sentir que pendant deux mois ou deux mois et demi tout au plus ; que nulle part elle n’a été comparable à celle qu’on éprouvait dans le Limousin, plus éloigné des secours ; que, même à prix égal, les peuples de cette dernière province ne pouvaient manquer de souffrir davantage, parce que, le prix habituel des grains, et par conséquent les revenus et les salaires du travail y étant plus bas que dans les provinces plus à portée des débouchés, la cherté, sans y être plus forte, y devait être plus onéreuse. Dans le grand nombre des provinces, cette cherté passagère n’est tombée que sur les journaliers et les artisans ; les propriétaires et les cultivateurs en ont du moins été dédommagés, peut-être même enrichis par la vente avantageuse de leurs récoltes : dans le Limousin, au contraire, les propriétaires, obligés d’acheter du grain pour nourrir leurs colons, ont éprouvé des pertes dont ils se sentiront longtemps. Je vous l’ai dit, monsieur, la cherté des grains ne peut être profitable dans cette province qu’aux nobles et aux ecclésiastiques propriétaires de rentes seigneuriales, et qui ne contribuent presque en rien à l’impôt ; il n’est donc pas vrai que la misère de l’année dernière n’ait affligé le Limousin que comme les autres provinces : cette généralité a été affligée hors de toute proportion, et j’ose dire qu’elle doit être soulagée hors de toute proportion.

Dans une lettre particulière que j’ai eu l’honneur de vous adres-