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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/751

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Le Conseil peut-il espérer que des peuples épuisés par une surcharge ancienne, dépouillés de toutes leurs ressources par une disette de trois ans, accablés encore en partie par de nouveaux accidents qui perpétuent leur misère, s’acquittent jamais d’arrérages aussi énormes ? Nous avons observé que les gelées du mois de mai ont presque détruit la récolte des seigles dans la moitié des paroisses de la Montagne ; le reste de ce canton a été aussi maltraité que l’année dernière. La grêle et les ouragans n’ont pas fait moins de ravages dans la partie de la basse Marche. La seule espérance pour la subsistance du peuple est fondée sur la récolte des blés noirs ; mais ce grain, qui nourrit les cultivateurs, n’est qu’un faible objet de commerce, et ne produit presque aucun revenu aux propriétaires. Ceux-ci n’auront pas même la ressource du commerce des bestiaux, dont le prix est baissé au moins d’un tiers, et dont la quantité est encore fort diminuée par les maladies qui ont affligé plusieurs cantons. — Nous le demandons encore, comment veut-on que ces malheureux satisfassent à des charges dont le poids ne cesse d’augmenter ? M. le contrôleur-général, frappé du retard des recouvrements, et supposant que ce retard pouvait venir de la négligence des receveurs des tailles, a autorisé les receveurs généraux à envoyer un vérificateur chargé de constater l’état et la régularité des registres des receveurs des tailles, et de voir par lui-même si les retards devaient être attribués à la misère des contribuables. Nous savons que la personne envoyée a visité une partie des élections de Bourganeuf et de Tulle, et qu’elle a trouvé la misère du peuple au-dessus de l’idée qu’elle avait pu s’en former.

Le mal est connu ; il est temps de songer au remède : si l’on ne se hâte de soulager des malheureux courbés sous le faix, il ne sera plus temps d’aller à leur secours quand ils auront succombé à l’excès de leurs maux ; quand la dépopulation, les émigrations, la mort des cultivateurs, l’abandon des domaines et des villages entiers, auront achevé de changer en désert le quart d’une province. Si les impôts restent les mêmes, il faudra que les arrérages augmentent chaque année : qu’y gagnera le Trésor royal ? rien, sans doute ! Un soulagement actuel proportionné aux malheurs de la province, un changement dans la proportion de ses impositions, qui la ramènerait au niveau des autres provinces, feraient respirer les peuples, leur feraient entrevoir l’espérance d’arriver à la fin de leurs maux, et leur