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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/756

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subsistance, on pourrait croire qu’après trois années de la plus terrible misère, elle commence enfin à respirer. En effet, dans l’intervalle qui s’est écoulé depuis la récolte de 1772, quoique cette récolte eût été mauvaise et aussi faible que celles de 1767 et de 1769, le peuple a vécu, parce que les blés noirs, les châtaignes et les blés d’Espagne ont remplacé le froment et le seigle dans la consommation des habitants de la campagne. Ces récoltes subsidiaires seront moins abondantes cette année ; mais, comme celle du froment et du seigle est beaucoup meilleure et approchant de l’année commune, il y a tout lieu d’espérer que le peuple vivra, à moins que des gelées très-fortes d’ici à peu de jours ne viennent détruire cette espérance. Dans ce cas il n’y aurait peut-être pas de famine absolue ; mais il y aurait du moins une cherté excessive que les inquiétudes répandues dans le reste du royaume, et le défaut de liberté dans le commerce des grains, augmenteraient encore. Quant à présent, le prix modéré des grains annonce la sécurité générale. Le seigle ne vaut en Limousin que 10 livres 10 sous le setier de Paris ; le froment n’y vaut que 18 francs, et il ne vaut à Angoulême que 21 livres. Ce prix est au-dessous du prix du marché général, c’est-à-dire au-dessous du prix commun qui a lieu dans les ports de Hollande, de France et d’Angleterre, lorsque le commerce des grains y est libre ; au-dessous par conséquent du prix auquel il est à désirer que les grains se fixent pour maintenir l’activité de la culture et pour mettre les consommateurs salariés à l’abri des augmentations excessives dans le prix des subsistances auxquelles les exposent les variations inséparables du système prohibitif et réglementaire. Enfin, le prix est au point qu’une baisse un peu considérable serait déjà extrêmement onéreuse aux fermiers, qui seraient hors d’état de payer le surhaussement de leurs baux, et par conséquent très-nuisible aux recouvrements, et d’autant plus nuisible que la ressource ordinaire du commerce des bestiaux est fort affaiblie par la diminution des ventes dans le cours de cette année, et que les vendanges, qui seront médiocres pour la quantité et la qualité, diminueront encore beaucoup les revenus des propriétaires dans les élections d’Angoulême et de Brive. Ces considérations ne méritent pas moins d’être pesées, dans l’opération de l’assiette des impositions, que la cherté des subsistances.

Il est de plus à considérer que la province se ressent encore né-